Ecriture et Territoire :
partant du mot écriture pour arriver au mot territoire
Intervention de Marie-Aude Michiels1, chargée de mission Espace Formateurs, Lyon
Nous sommes dans une civilisation de l'écrit. Quoique le visuel prenne de plus en plus de place, l'écrit est encore et toujours la norme de la communication officielle. Dans une société où l'instruction est obligatoire, où l'apprentissage de l'écriture et de la lecture est obligatoire, l'illettrisme est un réel problème de société. Ce problème de société, on a essayé de le faire porter par les illettrés eux-même. Comme si ils étaient porteurs d'un handicap particulier
En 1979, ATD-Quart-Monde nomme pour la première fois le mot illettrisme en précisant que cette tranche de population en grande précarité a du mal à s'approprier l'accès à l'écriture. L'école propose un apprentissage normatif refusé par certaines personnes car il n'est pas porteur d'une relation satisfaisante pour eux.
En 1984, le rapport Espérandieu sur l'illettrisme fait découvrir avec stupeur que plus de 10% de la population adulte française est illettrée. D'autres chiffres flirtent avec les 20%. Un illettré est une personne qui ne retient pratiquement rien d'une lecture d'un texte écrit, bien qu'elle sache pourtant lire et écrire. Ils n'ont plus l'accès au sens de l'écrit bien qu'ils en connaissent la technique. Ces constats remettent en cause les fondements de notre culture. La rupture du lien social crée l'urgence.
Les réponses par l'intermédiaire du GPLI au début prennent le registre de la réparation : "agir pour" assistanat, remise à niveau. Mais la réactivation de l'échec scolaire et les problèmes de stigmatisation de ces personnes qui ne se reconnaissent pas sous l'étiquette illettrisme brouillent les pistes.
Car pourtant ils pensent ! On va jusqu'à se demander si il existe une culture spécifique des illettrés entre eux
En fait ils refusent des codes de communication qui les cantonnent dans un relation infantilisante et dévalorisante. Ils refusent de faire l'effort de se poser la question du sens des écrits car ils se sont refermés sur eux quant à ce mode de communication normatif et jugeant.
D'où une nécessaire évolution de la réponse vers un agir ensemble repris dans le rapport de 1999 de Marie-Thérèse Geoffroy. L'action locale et les services de proximité doivent intégrer une prise en compte de l'illettrisme sans la cloisonner et risquer de stigmatiser encore plus ceux qui se sont renfermés sur eux en décidant d'utiliser des stratégies de contournement. La difficulté est d'animer des réponses multiples et collectives en partenariat avec l'ensemble des dispositifs de proximité. Pour dynamiser cette nouvelle direction, l'Agence Nationale de Lutte contre l'illettrisme, ARLCI, ouvre au 1 place de l'école, à Gerland (une semaine après cette rencontre du GFEN).
Deux conditions sont nécessaires pour aider ces personnes en difficulté de communication : La reconnaissance de soi en tant qu'être pensant ayant le droit d'avoir le droit, ayant le droit de s'exprimer dans l'espace social. Et l'accès à un pouvoir local : Il est question de pouvoir reprendre du pouvoir sur sa vie dans ce même espace social. "Quand l'homme à l'écriture me rendra-t-il mon droit ? Quand pourrai-je souhaiter au lieu de vouloir vaincre ?" (Peter Haendke 1980, Par les villages)
Pour mettre en uvre ces deux conditions , il est nécessaire de créer des espaces intermédiaires, hors enjeux d'appartenance ou de réponse aux normes établies
pour se redonner le droit à l'erreur, le droit de s'essayer à penser, l'humilité de se donner le droit de se tromper devant les autres, dans un espace de recherche et d'élaboration de sa pensée. L'homme est en construction permanente dans une société en construction permanente. Nous sommes tous en recherche d'une nouvelle intelligence collective. Il est nécessaire de créer des espaces de débats, de recherche où, à plusieurs qui ne savons pas, nous pouvons "savoir"2.
Ces espaces intermédiaires doivent pouvoir assurer la revalorisation de son droit de parole, l'entraînement à s'exprimer devant les autres, la formalisation de ses idées, l'adaptation de la formalisation pour le destinataire concerné, l'assurance d'un accusé de réception par le destinataire du message et enfin une réponse faite aux personnes. Ils ne peuvent se faire que sur des entrées territoriales car elles ont à croiser l'accord des élus (qui légitiment le droit à l'expression), des financeurs (qui financent l'intervention), des acteurs sociaux (qui organise la synergie des partenaires pour un parcours d'insertion global pour les personnes en difficultés d'insertion), et enfin l'accord des personnes qui s'expriment (qui est en fait le plus facile à obtenir, à condition de l'assurance d'un minimum de durée de l'action)
Les dynamiques Ecriture et territoire sont donc intimement liées si l'on veut pouvoir reconstruire l'accès au sens pour ceux qui n'y croyait plus et qui par leur refus remettent en cause les valeurs humanistes de notre société. Ecrivains en résidence, dynamique d'écriture sur le territoire local impliquant tous les partenaires, pour redonner du sens à sa vie, son quartier, son environnement
D'où la pertinence d'approches pluridisciplinaires sur un territoire local, développant du lien social et visant une réappropriation du sens de l'expression individuellement et collectivement.
1- Marie-Aude Michiels, scientifique de formation, a parcouru les exigences pédagogiques de l'enseignement initial et de la formation continue. Tout accompagnateur d'insertion se retrouve un jour ou l'autre devant un paradoxe en confrontant les jugements dévalorisant reçus dans l'initial par les personnes en situation d'échec scolaire et la demande de motivation et d'autonomie qui leur est faite en formation continue pour une élaboration complexe de projet professionnel. En étudiant les problématiques de l'illettrisme, de l'exclusion, la nécessité de restaurer du lien social devient évidente. A travers le développement de dynamiques territoriales participatives, Marie-Aude Michiels poursuit sa recherche de méthodologies pédagogiques qui puissent contribuer à réhabiliter la capacité de penser (qu'elles soient déductives, intuitives, créatives, individuelles et/ou collectives).
2- Ylia Prigogine, Prix Nobel de chimie en 1977, auteur de "La fin des certitudes", nous dit : "Nous vivons dans un univers ouvert, le futur est incertain, mais nous pouvons contribuer à sa construction.", le Monde du 15/09/98
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